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Le Calvaire de Senven-Léhart

Cet article constitue une première partie d’un ensemble plus long intitulé Le patrimoine sacré de Senven-Léhart.

Senven-Léhart Calvaire (ouest) 2

On a pu s’étonner qu’un monument d’une telle qualité ait pu être érigé dans une toute petite paroisse du Centre-Bretagne. C’est oublier que bien des calvaires de qualité ont pris place dans des bourgs et même des villages très modestes : il a suffi qu’un(e) mécène apporte la somme nécessaire, quitte à solliciter les habitants pour faire l’appoint. Se doter d’un beau calvaire pouvait augmenter le prestige d’une paroisse. On sait par ailleurs que même dans les paroisses plutôt pauvres il y avait tout de même quelques nobles, commerçants et paysans aisés. Enfin, un calvaire de cette taille n’était pas hors de prix !

 

La date de 1635 est alléguée dans plusieurs notices quand d’autres se contentent d’indiquer le XVIIe siècle. Ce que tous admettent, c’est qu’il est l’œuvre de Roland Doré (1616-1660), sculpteur et architecte à Landerneau, qui a laissé une œuvre considérable, de haute qualité artistique. Les statues sont en granit de Kersanton (ou kersantite), sombre, à grain fin, et permettant une grande finesse dans les détails de la sculpture. Ce granit résiste bien au temps. Les fûts des croix et la mace (socle) sont en granit du pays.

 

Quelques citations à propos de calvaire de Senven-Léhart

 

« Un calvaire que l’on peut tenir pour l’un des plus grands. »

Gwenc’hlan Le Scouézec : Pierres sacrées de Bretagne. Le Seuil- 1987.

 

« L’un des chefs-d’œuvre de l’art des calvaires… […] Une très forte densité d’expression et d’émotion caractérise la sculpture, exécutée en volumes d’une nerveuse simplicité… »

Marc Déceneux & Daniel Mingant : La Bretagne des enclos et des calvaires. Éditions Ouest-France – 2001.

 

« Un très beau calvaire, […] remarquable autant par l’unité que par la qualité de sa sculpture, due sans doute à un seul artiste qui a su donner à l’expression des personnages […] la profondeur et la vérité des sentiments. »

« L’admirable pietà… »

« Il faut s’arrêter longuement devant ce groupe. La Vierge regarde au-delà des apparences, « repassant toutes choses dans son cœur », mais sa douleur immense est perceptible en son intensité. »

Louise-Marie Tillet : Itinéraires romans et calvaires bretons, éditions Zodiaque – 1987 (p. 108.)

 

« À la base du calvaire une pietà à quatre personnages exprime une étonnante intériorité. […] Que l’on considère les visages, les cheveux, les mains, les voiles, les vêtements proprement dits, il apparaît avec évidence que celui qui a donné forme et vie aux pierres de ce calvalte possédait la maîtrise de son art. »

Eugène Royer, Nouveau guide des calvaires bretons, Éditions Ouest-France – 1985. Pp. 177-178.

 

Ses trois croix reposent sur une mace (ou masse) de dimension réduite. « La face principale regarde l’Occident. Là-haut, sur la croix centrale, Jésus ne souffre pas, mais, derrière ses paupières abaissées, il semble méditer sur son propre mystère et sur le drame qu’il joue » écrit G. Le Scouézec.

 

Bref descriptif

 

NB :  Notons qu’il ne reste plus que 12 statues sur les 19 que le calvaire comptait à l’origine.
Senven-Léhart Calvaire (ouest)

 

Face ouest

 

C’est l’aspect général du calvaire, avec la représentation de scènes de la Passion de Jésus. Le Christ crucifié domine l’ensemble. Il semble cloué à une croix en Tau, mais il n’en était pas ainsi à l’origine, comme on peut le voir sur des cartes postales du début du XXe siècle. Il se peut que le sommet de la croix ait été recueilli et mis à l’abri… mais où ? De ce fait, l’inscription INRI (pancarte voulue par Pilate pour désigner ironiquement Jesus de Nazareth, Roi des Juifs) a également disparu.
Christ du calvaire de Senven
Jésus, dont la croix se dresse plus haut que celles de ses voisins. Les yeux clos, l’air apaisé, il a rendu le dernier souffle. On notera la finesse de sa chevelure, de sa barbe, de sa couronne d’épines. Deux anges recueillent le sang qui s’écoule de ses mains ; l’un d’eux tient deux coupes, l’une ayant recueilli également le sang et l’eau écoulés de son côté (cf évangile de Jean, 19, 33-35), dont on voit la blessure faite par la lance de Longin (Marc 15,39). Ces coupes, dont les quatre évangiles canoniques ne parlent pas, sont à rapporter aux légendes du Saint Graal. On notera la grosseur des clous plantés dans les mains et les pieds de Jésus. L’ensemble désigne l’innocent mis à mort. Comme l’écrit G. Le Scouézec : « Là-haut, sur la croix centrale, Jésus ne souffre pas, mais derrière ses paupières abaissées, il semble méditer sur son propre mystère et le drame qu’il joue. »

Calvaire Senven-Léhart Christ et larrons
Jésus est entouré de deux voleurs, le « bon larron » (saint Dismas) et le « mauvais larron » (Gesmas). Le premier a l’air plutôt apaisé (Jésus lui a promis le paradis) ; le second, qui avait invectivé Jésus a les traits tourmentés. Tirant la langue par défi, il incarne le mal ; sa braguette proéminente est le signe de ses excès. On notera que les croix des deux malfaiteurs sont également en Tau (en forme de T) comme celle du Christ, mais nous n’avons pas de photo ancienne prouvant qu’il n’en était pas ainsi dès l’origine.
Bon larron
Mauvais larron

niveau 1
Au pied de la croix, conformément à l’évangile de Jean (Jn19, 19-37), debout, se tiennent Marie, Mère de Jésus, et Jean, le « disciple que Jésus aimait ». Marie est en prière, tout en intériorité. Jean, les cheveux longs et le visage juvénile, a les mains croisées sur son vêtement, peut-être en signe d’acceptation du sacrifice de Jésus. Ce geste, avec les pans du vêtement de Jean, a une connotation sacerdotale, évoquant l’offrande de lui-même comme le fait le prêtre à l’offertoire de la messe. Le tout donne, ici encore, une impression de sérénité. Marie, Jésus, Jean, le bon larron vivent dans la foi en la victoire future de la Résurrection.

 

 La Pietà du calvaire de Senven-Léhart : chef d’œuvre de Roland Doré !

 

Au même niveau que Marie et Jean, mais en plus modestes dimensions, on trouve au centre une pietà, et de chaque côté un cavalier. En voici des photos prises à des moments différents ou sous des angles différents.
Pietà 1

Pietà 2

Pietà de Senven-Léhart 2

 

La pietà est une œuvre remarquable ! C’est l’image de Jésus reposant sur les genoux de sa Mère, après la descente de croix. À gauche devant nous, Marie-Salomé, une des Saintes Femmes qui ont accompagné Jésus et Marie pendant la Passion. L’autre femme, à notre droite, est Marie de Magdala (ou Madeleine), portant un vase d’aromates destinés à embaumer le corps de son Maître. On note que les regards ne se posent pas sur le cadavre, mais vont bien au-delà, exprimant, dans la douleur, une certaine sérénité, comme si elles devinaient que la résurrection est au bout de leur épreuve. Quelle dignité dans ces visages !

 

Cavaliers

 

Deux cavaliers encadrent la pietà. Celui qui se situe à gauche de la photo porte la main à son œil gauche. Sa main droite tient ce qui pourrait être une partie de sa lance l’autre ayant disparu. Il s’agit de Longin le Centurion, dont la tradition a fait un amalgame entre le soldat qui perça le flanc de Jésus (Jn 19, 34 : mais un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. ») et le centurion romain qui, ému par les signes apocalyptiques qui suivirent la mort de Jésus, s’était écrié : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! (Mt 27,54 ; Mc 15,39). La légende, qui a inventé le nom du centurion, a imaginé qu’une goutte du sang de Jésus lui était tombé dans l’œil, provoquant sa conversion : sa cécité physique était le symbole de l’aveuglement spirituel.
Longin
L’autre cavalier semble posé là par souci de symétrie.
cavalier

 

Face Est

 

Calvaire Senven-Léhart Face nord
C’est le revers du calvaire. Logiquement placé au sommet, saint Pierre tenant la clé du paradis, d’une main, et un livre de l’autre, s’adosse à la Croix. Il arbore l’air majestueux du prince de l’Église.
Senven-Léhart (Nord) Saint Pierre
À la base des poteaux de croix des larrons, on trouve, un peu surélevé, le Christ aux liens (Ecce Homo) tenant son dérisoire sceptre de roseau (quelque peu démesuré).
Senven-Léhart Face Est (base)
À gauche, saint Yves, en tenue d’avocat et comptant ses arguments sur ses doigts : on est en Trégor ! À son bras droit pend le livre des décrétales (textes officiels de droit canonique), rappelant son rôle d’avocat.

À droite, le roi de France Louis IX (1214 ou 1215-1270), coiffé de sa couronne et arborant la main de justice, signe de son pouvoir. On a pu également penser à saint Mélar, mais nous penchons plutôt pour le roi de France. Que fait ici saint Louis ? La raison la plus probable est le rôle qu’il a joué dans les croisades, d’une part, et que d’autre part il avait fait acheter par la France la Couronne d’Épine : son lien avec la Passion du Christ est ainsi établi.

 

Conclusion

 

Finalement, ce joyau de l’art à la fois sacré et populaire gagne à rester peu connu : le visiteur a ainsi le plaisir d’une belle découverte. Il est permis de s’attarder à contempler ces visages dont l’expression nous parle, et raconte l’impensable : la mise à mort comme un criminel de l’Homme qui fut au monde le plus fraternel, le plus doux : Jésus, dont la sérénité sur le bois du supplice est aussi espérance du salut. L’on peut méditer longuement sur chaque personnage, chaque scène, et enrichir son approche du mystère de la Passion du Christ. Depuis 1635, ce calvaire parle au passant, qu’il soit croyant ou non, et lui délivre un message à la fois d’une haute spiritualité et empreint d’humanité. Avec la Vierge, avec saint Jean, avec le Centurion, et aussi les saints Yves, Pierre, Louis, le regard explore un horizon qui se situe au-delà de notre perception : celui d’une invincible espérance.

 

Jef Philippe (texte & photos) – 1er avril 2022

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