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Le Calvaire de Senven-Léhart

Cet article constitue une première partie d’un ensemble plus long intitulé Le patrimoine sacré de Senven-Léhart.

Senven-Léhart Calvaire (ouest) 2

On a pu s’étonner qu’un monument d’une telle qualité ait pu être érigé dans une toute petite paroisse du Centre-Bretagne. C’est oublier que bien des calvaires de qualité ont pris place dans des bourgs et même des villages très modestes : il a suffi qu’un(e) mécène (le seigneur du pays, par exemple) apporte la somme nécessaire, quitte à solliciter les habitants pour faire l’appoint. Se doter d’un beau calvaire pouvait augmenter le prestige d’une paroisse. On sait par ailleurs que même dans les paroisses plutôt pauvres il y avait tout de même quelques nobles, commerçants et paysans aisés. D’autre part, le possédant pouvait résider dans une paroisse éloignée. Enfin, un calvaire de cette taille n’était pas hors de prix !

La date d’érection du calvaire de Senven-Léhart de 1635 est alléguée dans plusieurs notices quand d’autres se contentent d’indiquer le XVIIe siècle. Ce que tous admettent, c’est qu’il est l’œuvre de Roland Doré (1616-1660), sculpteur et architecte à Landerneau, qui a laissé une œuvre considérable, de haute qualité artistique. Les statues sont en granit de Kersanton (ou kersantite), sombre, à grain fin, et permettant une grande finesse dans les détails de la sculpture. Ce granit résiste bien au temps. Les fûts des croix et la mace (socle) sont en granit du pays.

D’après Emmanuelle Le Seach, le commanditaire de ce monument pourrait être Maurice De Perrien De Crénan ; selon J-Y Cordier ce serait plus vraisemblablement son fils Pierre De Perrien De Crénan (1612-1671), seigneur de Léhart et marquis de Crénan, qui « après 1645 » passa commande de quatre statues portant la marque de Roland Doré. (Références en bibliographie à la fin de cet article)

 

Quelques citations à propos de calvaire de Senven-Léhart

 

« Un calvaire que l’on peut tenir pour l’un des plus grands. »

Gwenc’hlan Le Scouézec : Pierres sacrées de Bretagne. Le Seuil- 1987.

 

« L’un des chefs-d’œuvre de l’art des calvaires… […] Une très forte densité d’expression et d’émotion caractérise la sculpture, exécutée en volumes d’une nerveuse simplicité… »

Marc Déceneux & Daniel Mingant : La Bretagne des enclos et des calvaires. Éditions Ouest-France – 2001.

 

« Les expressions des personnages varient, passant de la sérénité pour le Christ, à l’affliction pour les saintes Femmes, sans oublier la caricature grotesque pour le mauvais larron. Le sculpteur fait preuve ici d’un indéniable talent dans la représentation des sentiments humains.

Les traits fins des personnages et la maîtrise des drapés font de ce calvaire une œuvre majeure dans le catalogue du sculpteur. » (Le Seac’h p.213)

Emmanuelle Le Seac’h, citée par J-Y Cordier dans son blog : voir bibliographie en fin d’article.

 

« Un très beau calvaire, […] remarquable autant par l’unité que par la qualité de sa sculpture, due sans doute à un seul artiste qui a su donner à l’expression des personnages […] la profondeur et la vérité des sentiments. »

« L’admirable pietà… »

« Il faut s’arrêter longuement devant ce groupe. La Vierge regarde au-delà des apparences, « repassant toutes choses dans son cœur », mais sa douleur immense est perceptible en son intensité. »

Louise-Marie Tillet : Itinéraires romans et calvaires bretons, éditions Zodiaque – 1987 (p. 108.)

 

« À la base du calvaire une pietà à quatre personnages exprime une étonnante intériorité. […] Que l’on considère les visages, les cheveux, les mains, les voiles, les vêtements proprement dits, il apparaît avec évidence que celui qui a donné forme et vie aux pierres de ce calvalte possédait la maîtrise de son art. »

Eugène Royer, Nouveau guide des calvaires bretons, Éditions Ouest-France – 1985. Pp. 177-178.

 

Ses trois croix reposent sur une mace (ou masse) de dimension réduite. « La face principale regarde l’Occident. Là-haut, sur la croix centrale, Jésus ne souffre pas, mais, derrière ses paupières abaissées, il semble méditer sur son propre mystère et sur le drame qu’il joue » écrit G. Le Scouézec.

 

Bref descriptif

NB : certains auteurs affirment qu’il ne reste plus que 12 statues sur les 18 ou 19 que le calvaire comptait à l’origine. J-Y Cordier (cf bibliographie) pense au contraire qu’en comptant les petites statues présentes (anges, notamment), on arrive autour de 18-19.

 

Senven-Léhart Calvaire (ouest)

 

Face ouest

C’est l’aspect général du calvaire, avec la représentation de scènes de la Passion de Jésus. Le Christ crucifié domine l’ensemble. Il semble cloué à une croix en Tau, mais il n’en était pas ainsi à l’origine, comme on peut le voir sur des cartes postales du début du XXe siècle. Il se peut que le sommet de la croix ait été recueilli et mis à l’abri… mais où ? De ce fait, l’inscription INRI (pancarte voulue par Pilate pour désigner ironiquement Jésus de Nazareth, Roi des Juifs) a également disparu.

 

 

Christ du calvaire de Senven

 

La croix de Jésus se dresse plus haut que celles de ses voisins. Les yeux clos, l’air apaisé, il a rendu le dernier souffle. On notera la finesse de sa chevelure, de sa barbe, de sa couronne d’épines. Deux anges recueillent le sang qui s’écoule de ses mains ; l’un d’eux tient deux coupes, ayant recueilli le sang et l’eau écoulés de son côté (cf évangile de Jean, 19, 33-35), dont on voit la blessure faite par la lance de Longin (Marc 15,39). Ces coupes, dont les quatre évangiles canoniques ne parlent pas, sont à rapporter aux légendes du Saint Graal. On notera la grosseur des clous plantés dans les mains et les pieds de Jésus. L’ensemble désigne l’innocent mis à mort. Comme l’écrit G. Le Scouézec : « Là-haut, sur la croix centrale, Jésus ne souffre pas, mais derrière ses paupières abaissées, il semble méditer sur son propre mystère et le drame qu’il joue. »

 

Calvaire Senven-Léhart Christ et larrons

 

Jésus est entouré de deux voleurs, le « bon larron » (saint Dismas) et le « mauvais larron » (Gesmas). Le premier a l’air plutôt apaisé (Jésus lui a promis le paradis) ; le second, qui avait invectivé Jésus a les traits tourmentés. Tirant la langue par défi, il incarne le mal ; sa braguette proéminente est le signe de ses excès. On notera que les croix des deux malfaiteurs sont également en Tau (en forme de T) comme celle du Christ, mais elles étaient sans doute ainsi dès l’origine car aucune échancrure de montre qu’elles auraient été cassées, amputées.

Bon larron

 

Mauvais larron

 

 

niveau 1

 

Au pied de la croix, conformément à l’évangile de Jean (Jn19, 19-37), debout, se tiennent Marie, Mère de Jésus, et Jean, le « disciple que Jésus aimait ». Marie est en prière, tout en intériorité. Jean, les cheveux longs et le visage juvénile, a les mains croisées sur son vêtement, peut-être en signe d’acceptation du sacrifice de Jésus. Ce geste, avec les pans du vêtement de Jean, a une connotation sacerdotale, évoquant l’offrande de lui-même comme le fait le prêtre à l’offertoire de la messe. Le tout donne, ici encore, une impression de sérénité. Marie, Jésus, Jean, le bon larron vivent dans la foi en la victoire future de la Résurrection et communient dans un même sacrifice.

 

 

La Pietà, ou plutôt Déploration du Christ du calvaire de Senven-Léhart : chef d’œuvre de Roland Doré !

 

Au même niveau que Marie et Jean, mais en plus modestes dimensions, on trouve au centre une pietà, et de chaque côté un cavalier. En voici des photos prises à des moments différents ou sous des angles différents.

Pietà 1

 

Pietà 2

 

 

Pietà de Senven-Léhart 2

 

Au même niveau que Marie et Jean, mais en plus modestes dimensions, on trouve au centre une Déploration du Christ. Cette expression est préférable au mot pietà, qui désigne un groupe comprenant seuls la Vierge et Jésus au moment de la Descente de Croix. De chaque côté de la Déploration, un cavalier.

Cette œuvre est remarquable ! C’est l’image de Jésus reposant sur les genoux de sa Mère, après la descente de croix. À gauche devant nous, Marie-Salomé, (sinon Marie-Cléophas), une des Saintes Femmes qui ont accompagné Jésus et Marie pendant la Passion. L’autre femme, à notre droite, est Marie de Magdala (ou Madeleine), portant un vase d’aromates destinés à embaumer le corps de son Maître. On note que les regards ne se posent pas sur le cadavre, mais vont bien au-delà, exprimant, dans la douleur, une certaine sérénité, comme si elles devinaient que la résurrection est au bout de leur épreuve. Quelle dignité dans ces visages !

La pietà est une œuvre remarquable ! C’est l’image de Jésus reposant sur les genoux de sa Mère, après la descente de croix. À gauche devant nous, Marie-Salomé, une des Saintes Femmes qui ont accompagné Jésus et Marie pendant la Passion. L’autre femme, à notre droite, est Marie de Magdala (ou Madeleine), portant un vase d’aromates destinés à embaumer le corps de son Maître. On note que les regards ne se posent pas sur le cadavre, mais vont bien au-delà, exprimant, dans la douleur, une certaine sérénité, comme si elles devinaient que la résurrection est au bout de leur épreuve. Quelle dignité dans ces visages !

 

Cavaliers

 

Deux cavaliers encadrent la Déploration. Celui qui se situe à gauche de la photo porte la main à son œil gauche. Sa main droite tient ce qui pourrait être une partie de sa lance l’autre ayant disparu. Il s’agit de Longin, mentionné par l’évangile de Jean (Jn 19, 34), le soldat qui perça le flanc de Jésus: « mais un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. » Il porte la main à son œil, selon la légende affirmant qu’une goutte du sang du Christ, tombée dans son œil, lui aurait rendu la vue. Ici la cécité est une métaphore de l’incroyance, perçue comme un aveuglement spirituel : le soldat a trouvé la foi.

L’autre cavalier, selon J-Y Cordier, est le centurion romain qui, ému par les signes apocalyptiques ayant suivi la mort de Jésus, et converti à son tour, s’était écrié : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu ! (Mt 27,54 ; Mc 15,39). La légende a parfois amalgamé les deux militaires mentionnés par les évangélistes.

 

 

 

Longin

 

cavalier

 

Face Est

 

Calvaire Senven-Léhart Face nord

 

C’est le revers du calvaire. Logiquement placé au sommet, saint Pierre tenant la clé du paradis, d’une main, et un livre de l’autre, s’adosse à la Croix. Il arbore l’air majestueux du prince de l’Église.

 

 

Senven-Léhart (Nord) Saint Pierre

À la base des fûts de croix des larrons, on trouve, un peu surélevé, le Christ aux liens (Ecce Homo) tenant son dérisoire sceptre de roseau (quelque peu démesuré).

Senven-Léhart Face Est (base)

 

À gauche, saint Yves, en tenue d’avocat, appuie l’index de sa main droite sur le pouce de sa main gauche, ce que J-Y Cordier appelle « Le geste de l’argumentation », soit « le symbole de ses compétences dans la défense juridique et de sa maîtrise de la rhétorique et de l’éloquence. » À son poignet droit pend l’étui contenant le livre des décrétales (textes officiels de droit canonique), rappelant son rôle d’avocat ecclésiastique.

À droite, ce pourrait être le roi de France Louis IX (1214 ou 1215-1270), coiffé de sa couronne et arborant la main de justice, signe de son pouvoir. On a pu également penser à saint Mélar, mais nous penchons plutôt pour le roi de France, sans être catégorique. Que fait ici saint Louis ? La raison la plus probable est le rôle qu’il a joué dans les croisades, d’une part, et que d’autre part il avait fait acheter par la France la Couronne d’Épine : son lien avec la Passion du Christ est ainsi établi. Il faudrait voir si la famille commanditaire n’avait pas un lien généalogique avec ce saint roi.

 

Conclusion

 

Finalement, ce joyau de l’art à la fois sacré et populaire gagne à rester peu connu : le visiteur a ainsi le plaisir d’une belle découverte. Il est permis de s’attarder à contempler ces visages dont l’expression nous parle, et raconte l’impensable : la mise à mort comme un criminel de l’homme qui fut au monde le plus fraternel, le plus doux : Jésus. L’on peut méditer longuement sur chaque personnage, chaque scène, et enrichir sa connaissance du mystère de la Passion du Christ. Depuis 1635 (?), ce calvaire parle au passant, qu’il soit croyant ou non, et lui délivre un message plein de foi et d’humanité. Avec la Vierge, avec saint Jean, avec le Centurion, et aussi les saints Yves, Pierre, Louis, le regard explore un horizon qui se situe au-delà de notre perception : celui d’une invincible espérance.

 

Bibliographie

Emmanuelle Le Seach : Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne – Presses Universitaires de Rennes – 2014

Jean-Yves Cordier : son blog offre de nombreuses et très riches recherches sur le patrimoine breton, dont cet article qui semble le plus approfondi en ce qui concerne le calvaire de Senven-Léhart :

Le calvaire de Senven-Léhart. – Le blog de jean-yves cordier

 

Jef Philippe (texte & photos) – 1er avril 2022

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